Le blog de Chouilla

MIROIR, MON BEAU MIROIR

  1. INTRODUCTION (1 minute)

Miroir mon beau miroir, suis-je le plus beau maçon en cet atelier ? Comment ça « non »?

 Vous avez tous compris l’allusion à la belle-mère de Blanche-Neige. Lors de mon passage au grade de compagnon, j’ai été confronté au juge suprême : le miroir. J’avoue que j’ai eu un peu de mal à comprendre, d’où mon travail de ce midi. En regardant dans le miroir, que vois-je. Hé ben moi. Alors, ce serait moi ce juge suprême? Dans ce cas, vous pouvez tous préparer vos côtelettes !

Non, ça doit vouloir dire autre chose. Sinon pourquoi Narcisse aurait-il dépérit en contemplant son reflet. Et puis surtout pourquoi Persée a-t-il eu besoin d’un miroir pour couper la tête de la Méduse ?

  1. SYMBOLIQUE DU MIROIR ET DE LA CREATION (6 minutes 30)

Le miroir a toujours été un symbole fort dans les comtes, mythes et légendes. Mais ce symbole semble varier considérablement d’une histoire à l’autre. Dans blanche neige, le miroir renvoie la vérité à la marâtre. Une vérité qui l’empêche de jouir de son auto contemplation, sorte de phantasme enfantin de toute puissance. Don Quichotte par contre, lorsqu’il affronte le « Chevalier aux Miroirs », c’est la vérité inversée qu’il combat. Noble chevalier errant et désintéressé ou bouffon ridicule ? La vérité devient double. Où alors, elle dépend peut-être de qui tient le miroir.

Dans le mythe de Narcisse, le miroir prend une toute autre dimension. Il s’agit du rapport à soi-même et de l’attrait morbide de notre ego. Wallon et Lacan nous expliquent également ce phénomène lors de la découverte par l’enfant de son image dans le miroir. Mais il s’agit ici de la découverte subjective du « je » (et donc du « tu » et du « il ou elle »).  C’est l’éveil de l’empathie et de la fierté mais aussi de l’orgueil et de la honte.

Pour les Bouddhistes, le miroir est le symbole de la vacuité des manifestations de la réalité.

Bon, là, j’ai compris que je n’ai rien compris sauf que le point commun, c’est que le miroir fait toujours référence à notre perception de nous-mêmes et du monde.

Du coup, j’ai une théorie à vous proposer : La réalité est mais elle n’existe pas par elle-même. C’est notre perception qui la fait exister. Notre perception devient donc un acte de création. Et lorsque nous échangeons nos perceptions, comme ce midi, nous augmentons notre réalité.

La marâtre de Blanche-Neige se crée sa beauté jusqu’au jour où, par jalousie, elle se crée sa laideur. Le chevalier aux miroirs crée un Don Quichotte ridicule et … l’enfant commence à se créer lui-même en affrontant le miroir. Et c’est bien là le point important.

En suivant cette théorie, nous nous créons nous-mêmes et nous nous créons les uns les autres. Nous sommes notre propre créateur. Nous sommes notre propre père et nous nous engendrons au quotidien. Notre père au sens biblique. Quand YHVH dit à Abraham d’aller vers son Père, il ne s’agit évidemment pas de retourner chez papa maman. C’est d’aller vers lui-même. D’aller vers ce à quoi il se destine. Vers son âme. D’ailleurs, quand Jésus parle de « son Père », ce n’est sûrement pas d’un vieillard barbu agitant un doigt vengeur depuis la nuit des temps qu’il s’agit.

Dernièrement, j’ai pu avoir une discussion éclairante à ce sujet avec notre frère Max.  Nous avons évoqué cette fameuse histoire de Moïse qui grimpe au sommet du Sinaï pour taper la causette avec le « très-haut ». Au sens littéral, Moïse demande au créateur qui il est et ce dernier aurait répondu « Je suis celui qui est ». Réponse de sphinx ! Notez quand même qu’il utilise le verbe « être » et non « exister ». Nuance de taille. Il aurait pu balancer un « Je suis le tout puissant, Dieu de miséricorde qui existe depuis la nuit des temps et jusqu’à la fin des temps ! » Au moins, c’eut été plus conforme à l’idée qu’on s’en fait au catéchisme.

Alors, pourquoi cette réponse qui semble ne pas en être une ? D’après les explications de Max, la Torah est écrite en langage chiffré et même codé. Chaque lettre, chaque mot et chaque verset, le livre tout entier même, ont une valeur numérique propre qui a une signification. Comme s’il fallait le temps du déchiffrement pour se préparer à la vérité à découvrir. Déchiffrons ou plutôt décodons ce passage. Les lettre hébraïques qui compose « Moïse » ou plutôt « Moché » hjm ont un poids numérique de 345. Il est amusant de noter que les cabalistes on l’habitude d’utiliser « Ha Shem » mjh  pour désigner la transcendance ou le tétragramme sacré, ce qui est en hébreux l’exact miroir de Moshe. Moché – Ha Shem , premier effet miroir. Et quand Moché demande son nom à la transcendance (nommer c’est définir ou créer), la réponse est ahurissante :

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Ce qui pourrait approximativement se traduire par « je deviens ce à quoi j’étais destiné» et dont le poids numérique est (accrochez-vous) 543 !

5 – 4 – 3, le miroir de 3 – 4 – 5. Moïse parle à son reflet dans le miroir !

Là je demande quelques secondes pour avaler le morceau.

Parce que selon cette interprétation, le Créateur ou le Père au sens biblique, c’est nous-mêmes ou plutôt ce « à quoi nous nous destinons ». C’est un reflet sublimé de nous, un idéal. Ou selon les kabbalistes, l’âme de notre âme. Au passage, voilà qui relativise un peu le débat entre transcendance et immanence. Passer de l’autre coté du miroir n’a jamais signifié entrer dans une autre dimension comme dans une série B de science-fiction. C’est simplement d’aller au-delà de ce que nous sommes pour rejoindre ce à quoi nous nous destinons.

Percevoir, c’est concevoir. Concevoir, c’est créer. C’est une théorie qui peut sembler farfelue. Et pourtant. Lors de mon initiation, le vénérable m’a créé franc-maçon. Pourquoi le verbe « créer » et pas « nommer » ou « transformer » ? Tout simplement parce que à ce point précis de l’initiation, lui et les frères de l’atelier me perçoivent comme leur frère et «me reconnaissent comme tel ». C’est leur perception qui me crée. D’ailleurs, au lieu de « je suis franc-maçon » ne dit-on pas « mes frères me reconnaissent comme tel » ?

  1. FIERTE ou VANITE. (7 minutes)

Mais tout ça ne me dit toujours pas pourquoi Narcisse a dépérit en contemplant son reflet et surtout pourquoi, mais alors vraiment pourquoi Persée a-t-il eu besoin d’un miroir pour couper la tête de la Méduse.

Dans la version d’Ovide, Narcisse délaisse toutes ses prétendantes (et ses prétendants, on est dans un mythe grec). Il tombe amoureux de sa propre image et dépérit en contemplant son reflet dans les eaux du Styx. Au passage, c’est grâce aux eaux du Styx qu’Achille fut quasi-invulnérable sauf son tendon, symbole de son orgueil. Et c’est bien de l’orgueil ou plutôt de la vanité qu’il s’agit dans la mort de Narcisse car il était incapable de se tourner vers les autres et vers la vie tant il était absorbé par son égo.

Mais alors comment Persée s’est-il servi d’un miroir pour terrasser la Méduse ? Dans ce mythe il est expliqué qu’un miroir est le seul moyen pour Persée de voir la Méduse sans être pétrifié. Soi-disant pour permettre un regard objectif. Je n’y crois pas. La vraie raison, la seule possible est celle-ci : Le miroir est le seul moyen qu’a Persée de voir ce qu’il ne pourrait voir sans ce miroir. Lui-même ! Mais dans ce cas, comment ce qui a perdu Narcisse fait-il triompher Persée ?  La même arme, le miroir et le même ennemi, la vanité.

Mon interprétation, qui vaut ce qu’elle vaut, c’est que le regard qui rencontre le miroir est dirigé par nos motivations et nos intentions. Et ces dernières  sont le fruit d’un débat intérieur permanent. Ce débat résonne à la vibration de deux cordes très proches et pourtant antagonistes : la fierté et l’orgueil (ou la vanité). J’ai le sentiment que tout est là. Cette fameuse « occultum lapidem » ne me semble pas être autre chose. Selon qu’on fera vibrer l’une ou l’autre de ces cordes, la fierté ou l’orgueil, notre création sera bonne ou mauvaise. Selon nos choix, nous créons le paradis ou l’enfer, ici et maintenant.

Le hic, c’est que la distinction entre ces deux cordes n’est pas si facile à faire. Surtout de nos jours. Combien de fois ais-je entendu (ou dit moi-même) des phrases comme « j’ai ma fierté ! » ou « c’est une question d’amour propre ! » Encore une fumeuse expression celle-là. Alors qu’en définitive, il ne s’agit que d’orgueil, véritable sniper de la vanité.

Pour illustrer cette malheureuse confusion omniprésente, prenons un exemple archi connu. Le Cid de Corneille. L’histoire officielle qu’on nous enseigne à l’école, est celle d’un homme, Rodrigue, qui a sacrifié son amour pour Chimène pour  l’amour de son père et son devoir envers l’honneur de la famille. Noble sentiment d’abnégation. « Rodrigue, as-tu du cœur ? »  

Mwais… Personnellement, je vois les choses différemment. Reprenons l’histoire à ma façon. Voilà un gaillard, super star de son époque, 25 ans, balèze et triple champion du monde de duel à mort. Il a même le roi et l’infante dans son fan-club. Il faut dire qu’il casse de l’arabe en mettant beaucoup de cœur à l’ouvrage, ce qui était déjà très populaire à cette époque. Il est aimé de la plus belle fille des environs, logique, c’est lui la star. Mais voilà que son papounet se prend une baffe du papounet de sa chérie. Notez qu’il ne s’agit que d’une simple baffe. Papa Cid vient trouver son fiston en lui demandant de « laver son honneur ». Expression devenue hélas fort en vogue aujourd’hui dans certains quartiers. Et à cette époque, laver l’honneur se fait bien-sûr dans le sang et en combat singulier. Et de fait, c’est assez singulier d’opposer un champion toute catégorie de 25 ans et une ancienne gloire qui doit tourner autour des 55 ans et soigner son arthrose et ses rhumatismes. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un assassinat ! Le plus tordu c’est qu’on essaie de nous faire croire que le gars a hésité avant d’accepter le sale boulot. Mon œil ! Il n’a pas hésité une seconde. C’est le Cid tout de même. Que dis-je, il est « El Cid » !!  (« El » pour les intimes),Un monstre d’orgueil. Ce fameux débat intérieur de l’acte V n’a d’autre utilité que de clouer le bec à sa propre conscience qui se révolte. Le plus beau, c’est que le salaud impute la responsabilité de sa décision à l’opinion que Chimène pourrait avoir de lui. Il faut dire que de son coté, elle ne fait pas non plus dans la dentelle. Elle manipule l’un de ses prétendants pour elle aussi « laver son honneur ». Du début à la fin, on nage dans l’orgueil que l’auteur essaie de nous faire prendre pour de la fierté.

Dans cette histoire, le père du Cid, c’est l’éternelle Méduse de Persée, la vanité. Il est ce à quoi le Cid se destine. Entre d’un coté construire son bonheur en rendant à Chimène l’amour qu’elle lui offre et de l’autre savourer son propre orgueil en assassinant un vieil homme, il n’hésite pas une seconde.  S’il avait eu un miroir pour voir toute l’horreur de sa propre vanité, conformément au mythe grec, il est effectivement fort probable qu’il eut été pétrifié d’horreur.

Je serais le diable, il me suffirait de l’orgueil comme arme pour rebâtir l’enfer au paradis.

Le miroir est finalement le symbole d’un choix. Entre l’orgueil et la fierté, c’est ce choix permanent qui nous crée et nous fait exister. Plus qu’un choix, c’est un combat contre la vanité.

  1. ECHEC MAIS PAS MAT (2 minutes)

A mon passage au grade de compagnon, vous m’avez confié un bi-sac. Je me voyais un peu comme Persée et sa besace à l’assaut des Gorgones. C’est vrai, cette histoire a des tas de points communs avec notre vécu de compagnon. Il a un casque qui le rend invisible – notre absence en loge, des sandales ailées pour voyager plus vite et surtout la besace comme notre bi-sac.  Aujourd’hui, je suis de retour. Dans mon bi-sac,  j’ai des souvenirs de voyages dont certains sont inoubliables. Mais il me manque l’essentiel. Je n’ai pas vaincu ma Méduse. C’est tout juste si j’ai pu l’égratigner. Je regarde dans le miroir et je vois encore et toujours l’insupportable visage grimaçant de mon orgueil. Tel Dorian Gray devant son portrait, je me désespère en contemplant le masque hideux de mon âme. J’ai essayé. Sans doute pas assez fort ou par manque de conviction. Je ne sais pas. La vérité, c’est que j’ai échoué.

MUSIQUE « Lucia Di Lammermoor de Getano Donizetti » (2 minutes)

  1. L’ENFER C’EST LES AUTRES ? (3 minutes)

Et les autres dans tout ça ? Souvenez-vous du « Huis Clos » de Sartre. Dans la pièce où les acteurs sont enfermés, devinez ce qu’il manque. Un miroir ! La « pauvre  bimbo » de cette histoire, pour pouvoir se contempler, est obligée de regarder son reflet dans l’œil de l’autre femme de la pièce. Superbe symbole !

«L'enfer c'est les autres » a été pourtant souvent mal compris. On pense  que Sartre voulait dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, des rapports infernaux en quelque sorte. Or, c'est de tout autre chose qu’il s’agit. Au lieu de « l’enfer, c’est les autres », on pourrait lire « Le miroir » c’est les autres. Si mes rapports avec autrui sont tordus et motivés par l’orgueil, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que la connaissance que nous avons de nous-mêmes est en grande partie la résonnance, ou plutôt le reflet des connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons surtout avec les moyens que les autres ont ou nous ont donné de nous juger. Les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous, pour notre propre connaissance de nous-mêmes.

Quoi que je dise ou pense de moi, le jugement d'autrui y entre toujours.

Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais,  basés sur la vanité ou l’orgueil, je me mets dans la totale dépendance d'autrui en vivant « à travers le regard des autres ». Dans ce cas là, en effet, je suis en enfer. Par contre, si mes rapports avec les autres et le monde sont basés sur la fierté et donc la générosité, je suis au Paradis. C’est d’ailleurs comme ça que je comprends le message du Christ.

Et pour revenir à ma Méduse,  si je ne suis pas vainqueur,  je ne m’avoue pas vaincu. J’enrage et un jour viendra. Un jour je me vengerai. Je me vengerai lui arrachant la tête et en lui tranchant la gorge. Comme ça! (signe ap.°.).

J’ai dit, vénérable maître.



28/04/2014
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